Les origines de la protection sociale, les questions posées par son financement et les enjeux à venir.

Les principes de la Protection Sociale

« La protection sociale est une conquête des luttes ouvrières du XIXème siècle. Les sociétés de secours mutuel, ancêtres de nos mutuelles, ont permis à cette émancipation originelle de s’épanouir dans un cadre économiquement vertueux et accessible au plus grand nombre.

Le 15 mars 1944, le Conseil national de la Résistance (CNR) adoptait un programme fondé sur un socle de valeurs et de principes, avec l’ambition d’instaurer « un ordre social plus juste » au lendemain de la guerre. Parmi toutes les réformes, la mise en place de la protection sociale s’imposait comme un outil de réconciliation nationale, un acquis au bénéfice de tous les citoyens et un progrès de la société sans précédent. Ce système de protection sociale s’appuyait alors sur le mouvement syndical et s’érigeait en rempart contre les pouvoirs de l’argent.

La protection sociale, en tant que mécanisme de solidarité nationale issu du CNR, est aujourd’hui remise en cause. Le mouvement mutualiste lui-même s’est éloigné de son ancrage social, a distendu ses liens avec les groupements professionnels, préférant s’appuyer sur une base volontaire. Depuis 1967, avec le démantèlement progressif du système de sécurité sociale, la marchandisation croissante de la santé et de la solidarité, le mutualisme, solidarité volontaire collectivement assumée, reprend tout son sens. » [1]

Le système de protection sociale est donc fondé sur l’universalité (il s’adresse à tous), et sur la solidarité : on cotise selon ses revenus, mais on reçoit selon ses besoins. Il s’agit d’assurer à tous les citoyens des moyens d’existence quand ils ne peuvent s’en procurer par le travail (chômage, maladie, vieillesse, handicap…). Avant 1945, un tiers seulement de la population française était couverte contre la maladie par les assurances sociales et l’épargne privée était souvent déterminante pour accéder à la médecine.

Ce système répond à quatre principes essentiels :

- législation unique pour tous les systèmes existants

- gestion par les représentants des assurés

- système par répartition

- financement par des cotisations du patronat et des salariés.

Les agriculteurs, les commerçants, les professions libérales ont refusé d’intégrer le régime général car ils ne voulaient pas un système commun avec les salariés : celui des agriculteurs était plus avantageux lors de l’édification de la protection sociale tandis que les autres ne cotisaient pas.

La protection sociale ne traite pas que des questions de santé, mais aussi des risques ou besoins sociaux identifiés, qui entraînent une perte de revenus ou des dépenses importantes (maladie, enfants…). Elle implique selon les cas le versement de prestations.

Elle est organisée en quatre branches couvrant six risques : la santé (dont les accidents du travail et les maladies professionnelles), la vieillesse, la maternité et la famille, l’emploi, le logement, la pauvreté et l’exclusion sociale. Son champ d’action est donc beaucoup plus large que celui de la Sécurité Sociale. Par exemple, l’assurance chômage ne fait pas partie de la Sécurité sociale. Ce risque étant arrivé ultérieurement, il n’a pas été intégré à la Sécurité sociale en 1945. L’assurance chômage existe depuis 1958 (UNEDIC), mais l’explosion du chômage à partir du milieu des années 70 a mis ce dispositif en difficulté récurrente.

Le système de 1945 est un système contributif par cotisation. Il est fondé sur la « valeur travail » avec le partage des prélèvements sur les salaires. Mais il n’est pas seulement contributif car les prestations familiales ne dépendent pas des cotisations des familles. Nous devons faire vivre le principe fondateur de la Sécurité Sociale en 1945 : chacun contribue selon ses moyens et reçoit selon ses besoins.

Le rôle redistributif de la Protection Sociale

Notre pays fait partie des pays européens où les dépenses sociales sont les plus élevées, mais nous ne sommes pas si éloignés des autres pays de l’Union Européenne qui y consacrent en moyenne 28% du PIB. Grâce à son système redistributif, la France fait partie des pays de l’OCDE à faibles inégalités de revenus (seuls le Danemark et la Suède font mieux) : il permet ainsi de réduire de 30 % les inégalités primaires de niveau de vie.

En France, la moitié des dépenses publiques a été affectée au financement de la protection sociale en 2011. Cela concerne essentiellement les risques santé et vieillesse. Ce ne sont pas vraiment des « dépenses » car il s’agit de revenus distribués : en 2010, sur les 32% de PIB consacrés à la protection sociale, 17% représentaient des revenus de remplacement (retraite, indemnités journalières et indemnités chômage) contribuant à la consommation et donc à l’activité économique.

Le financement de la Protection sociale

En France, employeurs et salariés se partagent les prélèvements sur les salaires :

- par des cotisations : il s’agit de prélèvements partagés entre employeur et salarié sur les salaires. Mais les cotisations employeurs ont baissé tandis que celles des salariés ont augmenté (à cause de la CSG notamment).

- par des ressources fiscales : avec notamment la CSG depuis 1991 (son assiette est plus large que celle des cotisations car elle concerne différents revenus, avec des taux de prélèvements différents et son rendement est important), des taxes et des impôts compensent les exonérations de cotisations patronales successives. Mais ces exonérations, mises en place pour favoriser la compétitivité concernent surtout des activités de services, pour des entreprises qui ne sont pas soumises à la concurrence des pays à « bas coût » du travail, puisqu’elles ne sont pas délocalisables.

Le poids des dépenses en matière de protection sociale a doublé : il est passé de 15 % du PIB en 1959 à plus de 30 % en 2010. Les recettes ont évolué de la même manière : jusqu’en 1980, on a ajusté par la hausse des ressources, puis par la baisse des dépenses (baisse des pensions, déremboursements de frais médicaux, franchises…).

L’OCDE proclame qu’« il faut réduire de manière drastique les dépenses publiques », en utilisant un véritable matraquage idéologique sur le niveau des prélèvements obligatoires, la compétitivité, la distinction « solidarité »/« contributivité » : droits à pension pour les périodes « cotisées » renvoi aux financements par l’impôt des prestations dites « solidaires » (avantages familiaux, périodes validées au titre de la maladie, du chômage…). Le MEDEF y trouve son compte.

Avec l’ANI, signé par certains syndicats en 2013, on a prétendu généraliser la couverture complémentaire santé à tous. En fait, seuls les actifs du régime privé sont concernés, et cela implique la réduction des droits à l’assurance maladie pour tous puisque les complémentaires santé prennent de plus en plus d’importance par rapport au régime général. De plus, on a déplacé la négociation salariale au sein des entreprises ou des branches (pour le choix des complémentaires).

Il ne faut pas oublier non plus que l’assurance chômage n’indemnise qu’environ la moitié (2,8 millions) des chômeurs (sur 4,5 millions) !

Les enjeux et défis pour notre Protection Sociale

Aujourd’hui, nous devons faire face à :

- l’augmentation des inégalités (pouvoir d’achat)

- la hausse du taux de pauvreté (1 français sur 7 est touché, dont 8 millions de salariés) avec beaucoup de jeunes non couverts par la Sécurité Sociale, de nombreux retraités, des ménages monoparentaux qui ont aussi besoin de services publics (accueils de la petite enfance, compensation de la perte d’autonomie, l’accès au logement…)

- de plus en plus de renoncements aux soins faute de moyens (1/3 de la population)

- une inadéquation entre la société et le système de protection sociale : il a été organisé dans un cadre de plein emploi masculin, avec la femme au foyer. Les nouveaux risques sociaux sont mal pris en charge et demandent des services publics de qualité plutôt que des transferts monétaires.

- la conviction pour la moitié des jeunes qu’ils n’auront pas de retraite.

Pour la FSU il s’agit de vrais choix de société. Nous ne devons pas nous laisser enfermer dans un débat cantonné à la question du financement, mais il faut se poser les questions :

- des objectifs pour les différentes branches de la Protection Sociale (la santé, les retraites, la famille), des droits à garantir

- de l’organisation : nous défendons un financement socialisé (car l’organisation d’une protection sociale au sein de systèmes publics est plus juste, plus efficace, moins coûteuse) et une gestion démocratique de ces systèmes (les citoyens doivent donc s’y investir à nouveau)

- des moyens pour y parvenir : un autre partage des richesses (revoir l’assiette des cotisations et de la taxation des revenus financiers, faire cotiser davantage les entreprises cotées en bourse qui liquident l’emploi ou font beaucoup de profit avec peu de main d’œuvre), de l’emploi, développer la Protection Sociale et les services publics en articulation étroite…

Cécile


[1] Jacques Chemarin in « Le Monde diplomatique » de mars 2011

http://www.monde-diplomatique.fr/2011/03/CHEMARIN/20236