La perte d’autonomie, la dépendance sont des handicaps qui touchent les personnes âgées. Selon leur degré d’atteinte, elles sont classées dans la grille AGGIR (Autonomie, Gérontologie, Groupe Iso-Ressources) et nécessitent une prise en charge plus ou moins importante. (Il y a 6 GIR selon le degré d’indépendance de la personne.) Je vous propose donc d’examiner comment cette prise en charge a évolué selon le degré de développement des sociétés, de faire un état des lieux et d’examiner nos propositions.
Dans les sociétés qui connaissaient la pénurie, la mortalité était précoce et les rares personnes qui atteignaient ce que l’on considérait comme le grand âge pouvaient représenter un poids insupportable pour la société en situation de pénurie notamment alimentaire. Les esquimaux offraient dit-on une barque pour un dernier voyage, les africains secouaient le cocotier (c’est du moins ce qui se racontait chez les colons ?), les indiens se retiraient sur la colline en attendant l’épuisement fatal…
Sous l’Ancien Régime, les puritains en particulier rendaient chacun responsable de son sort. Dieu avait créé le monde que l’on comparait à une horloge et l’horloger étant parfait, les hommes qui tournaient dans le bon sens ne pouvaient pas connaitre le malheur. Chacun était responsable de son sort et la peste était une « punition divine » destinée à châtier les vices. Il ne fallait donc pas trop soulager la misère pour ne pas encourager le vice, et les maisons de charité, qui étaient de véritables ghettos pour les pauvres, avaient une discipline d’enfer. Les Etats-Unis sont restés, encore aujourd’hui, marqués par leur origine puritaine.
La Révolution Française, dans le sillage des « Lumières », a fait bouger les lignes : après une phase où l’on considérait que la réussite du propriétaire était la norme (1789) et où les décisions politiques étaient réservées par le suffrage censitaire aux possédants, les préoccupations sociales ont finalement émergé. La constitution du 24 juin 1793 formulait ainsi son article 21 : « Les secours publics sont une dette sacrée. La société doit la subsistance au citoyen malheureux, soit en lui procurant du travail, soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler ». Les libéraux sous Thermidor et Napoléon sont revenus sur ces acquis de civilisation, mais les progressistes ont réaffirmé très fort ces exigences en 1848 et au-delà. Ce fut un des fronts de lutte entre la droite et la gauche tout au long de l’histoire de la République.
Après le Nazisme qui avait aussi fait des handicapés un poids insupportable pour la réalisation de la « Grande Allemagne » et avait organisé leur élimination, les principes progressistes deviennent universels avec la « Déclaration Universelle des Droits de l’Homme », dont l’article 25 énonce : « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté ».
La recherche de l’application de ces principes a amené un progrès de civilisation sensible pendant les « Trente glorieuses » et a donné tout son sens au travail, améliorant la vie au fur et à mesure que les progrès de la production permettaient de satisfaire les besoins sociaux, en particulier établir une solide protection sociale. Ce sont ces principes que la « marchandisation », et la compétition continuelle dans laquelle nous installe une certaine « mondialisation » remettent en cause malgré une productivité du travail qui continue à augmenter en moyenne de 1,5 % par an.
Les travailleurs, les anciens travailleurs qui sont aujourd’hui en retraite sont privés du fruit de leur ouvrage : jusqu’à quand allons-nous supporter ces aberrations ?
Depuis 1898, la productivité du travail a été multipliée par 18, ce qui a permis de diviser le temps de travail par deux et d’augmenter considérablement le niveau de vie. Pourtant l’exploitation du travail a augmenté : nous aurions donc pu faire encore mieux. Dans les trente dernières années, la croissance a été de 1,9 % par an et la part des salaires dans la valeur ajoutée a baissé de presque 10 % alors que les dividendes sont passés de 2 à 8% du PIB : à quoi sert le travail ? On a perdu la boussole.
La perte d’autonomie illustre hélas bien ces choix. Il y a 15 millions de retraités actuellement qui vivent avec des retraites de plus en plus misérables à la suite des « contre-réformes ». Le gouvernement considère que 13% du PIB représentent le maximum que l’on peut leur consacrer. Comme le nombre de retraités, le nombre de pertes d’autonomie augmente (certes mois vite que la productivité du travail) : les « contre-réformes » de 1993, 2003 et 2010 ont organisé la perte d’autonomie d’un nombre de plus en plus grand de personnes. Avec une retraite moyenne de 1299 €, comment payer des soins qui s’élèvent autour de 2200 € en moyenne pour un hébergement en EHPAD (Etablissement d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes) sans dépendre de sa famille ?
Le problème de la « perte d’autonomie », c’est d’abord et surtout la volonté d’arrêter de donner aux retraités leur part du progrès économique comme pendant les « Trente glorieuses ». C’est un choix politique : le gouvernement ne peut pas servir à la fois les « riches » et le peuple !
Etat des lieux : les plus de 60 ans devraient représenter un tiers des français en 2035, et les plus de 75 ans 11,9 millions selon l’INSEE. Ensuite ce sera la fin du papyboum, et le maintien de son taux de natalité permettra à la France de connaître un vieillissement moins important de sa population que dans les autres pays européens. Il n’y a pas de quoi s’alarmer !
Au 31 décembre 2009, il y avait 1,2 millions de personnes qui touchaient l’Allocation de Perte d’Autonomie (APA) : environ 700 000 à domicile et 440 000 en établissement. 580 000 touchaient l’Allocation de Solidarité aux Personnes Agées qui remplace le « minimum vieillesse ». Les dépenses consacrées à la « dépendance » sont estimées à 22 milliards d’euros soit 1,1 % du PIB, mais la moitié de cette somme représente des soins de maladie. La dépendance proprement dite ne représente donc qu’environ 0,5 % du PIB. Elle est gérée par la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie (CNSA) crée en 2004 ; après la canicule. Ses ressources proviennent de la journée de solidarité (0,3 % de la masse salariale soit 2,2 milliards d’euros en 2009), de l’assurance maladie (14 milliards d’euros) et d’une partie de la CSG (1,1 milliard d’euros).
Un problème de gouvernance se pose : cette CNSA est indépendante de la sécurité sociale, qui elle-même est de moins en moins sous le contrôle des usagers (qui étaient à l’origine représentés essentiellement par les syndicats), et le gouvernement propose de gérer la CNSA avec les assurances et de cantonner les usagers à un rôle de « surveillance ». On devine la suite : les assurances privées feraient leur loi…
Le handicap est en France séparé de la « dépendance » : avant 60 ans une personne peut bénéficier d’une allocation handicap, après 60 ans elle devient une personne âgée en perte d’autonomie. Ainsi après 60 ans une personne touche en moyenne une allocation divisée par deux pour son handicap.
Comprenne qui pourra !
Les personnes âgées son accueillies dans trois grands types d’établissements :
l’accueil de jour géré par des associations ou en hôpital de jour ;
l’hébergement temporaire en hôpital ou en maison de retraite (environ 10 000 places) ;
les EPHAD, qui sont publics, privés à but lucratif ou associatifs, et doivent obtenir un agrément. Les pensions varient du simple au double, pouvant atteindre en privé jusqu’à 5 000 € pour des soins semblables !
Les USLD (Unités de Soins Longue Durée) nécessitent des soins plus importants et une pension entre 1 500 et 3 000 euros (« obligation alimentaire »), avec récupération sur l’héritage au-delà d’une dépense de 46 000 € (chiffre de 2008)
Le nombre de places est notoirement insuffisant et, depuis 2006, 90 % des places ont été construites dans le domaine privé à but lucratif !
Le volume de financement public actuel ne répond aux besoins ni en places en établissements, ni en nombre et en professionnalisation des personnels. Les listes d’attente dans les EPHAD en Savoie sont très chargées : en moyenne 10 fois le turn-over. Le reste à charge des familles est très important.
Le SSIAD (Service des Soins Infirmiers à Domicile) joue un rôle majeur pour favoriser le maintien à domicile des personnes âgées dépendantes : portage de repas à domicile, aide ménagère… Ce sont les collectivités locales qui ont un rôle premier. La télé-assistance auprès des personnes seules et isolées peut être prise en charge par les services sociaux. La Maison Départementale du Handicap, placée sous la responsabilité du Conseil Général, est le « guichet unique » pour toutes les démarches.
Les handicapés peuvent bénéficier de la Prestation de Compensation du Handicap (PCH) : en 2009, 71 700 personnes en ont bénéficié pour une prestation moyenne mensuelle de 980 €, qui dépend des ressources de l’intéressé. Ils peuvent bénéficier de l’Allocation Personnalisée d’Autonomie (APA) : en 2009, 1 117 000 bénéficiaires dont 61% à domicile et 39 % en EHPAD. Seules les personnes classées dans les 4 premiers GIR peuvent en bénéficier pour un montant moyen mensuel de 494 €, l’APA maximum étant de 1235,65 € mensuel pour un GIR 1 sans ressource.
Les personnels qui interviennent dans la prise en charge (personnel médical, paramédical, aide à domicile…) ont des formations très inégales et relèvent de compétences diverses, ce qui ne facilite pas la coordination des interventions. Les conditions de travail sont difficiles : horaires irréguliers, répartis sur toute la semaine. Le temps partiels est fréquent : les rémunérations sont donc faibles pour les aides à domicile…
Le gouvernement a ouvert des pistes : il y a une forte convergence entre N. Sarkozy, l’UMP, le MEDEF et le secteur des assurances.
Le rapport de Mme Rosso-Debord, députée UMP présidente de la mission de l’Assemblée Nationale sur le sujet, propose d’exclure de l’APA les personnes en GIR 4, soit 498 000 personnes. Les bénéficiaires de l’APA disposant d’un patrimoine de plus de 100 000 € auraient le choix entre une allocation réduite de moitié, sans recours sur succession, et une allocation à taux plein mais avec récupération sur succession d’un maximum de 20 000 €. Sont également prévus l’obligation de souscrire dès 50 ans une assurance perte d’autonomie, la révision du taux de CSG pour les retraités alignés sur les actifs (de 6,6 à 7,5%) et l’application de la CSA aux professions actuellement exemptées.
Au Sénat le rapport Vasselle se différencie à la marge : il maintient le GIR 4 dans l’APA, fixe le choix entre l’APA et sa moitié au seuil de 150 000 ou 200 000 € avec le même gage de 20 000 € et propose l’assurance privée sur la base du volontariat, des réserves sur l’élargissement de la CSA et la création d’une seconde journée solidarité…
La FSU considère que la perte d’autonomie et le handicap, quels qu’en soient l’âge ou la cause, doivent relever de la solidarité nationale dans le cadre de la Sécurité Sociale tout au long de la vie.
Elle se prononce contre l’assurantiel privé qui coûte trop cher !
Le financement de la perte d’autonomie peut s’inscrire dans le cadre de la protection sociale avec une refonte d’ensemble des prélèvements obligatoires. Il est nécessaire de procéder à une réforme fiscale mettant fin aux inégalités : suppression du boucler fiscal sans compensation sur l’ISF, des exonérations fiscales, taxation des revenus financiers, bonus et plus-values, remise en cause des niches fiscales et des exonérations de cotisations sociales… et un véritable impôt progressif ! Nous avons les ressources : si la cinquième puissance mondiale fait du dumping social et si elle ne joue pas un rôle dynamique sur ce plan, à quoi en seront réduits les pays les plus pauvres ?
Il faut un Service Public pour garantir l’accueil et le service à domicile des personnes âgées qui en ont besoin : c’est le seul moyen de garantir un service de qualité sur l’ensemble du territoire sur le modèle d’autres services publics.
La FSU souhaite travailler avec les syndicats, les mutuelles et les associations pour définir, dans le cadre de financements publics, les conditions d’une prise en charge globale, solidaire et durable de la perte d’autonomie, dans le cadre de Financements publics.
Gérard Ravier